AUTOFORMATION COGNITIVE COMME DISPOSITIF DE PROFESSIONNALISATION DES ENSEIGNANTS AU BENIN
Fatahou DJIMA,
Jean-Claude HOUNMENOU
Université d’Abomey-Calavi (Bénin)
Résumé
La présente étude, qui s’inscrit dans une perspective andragogique, s’est intéressée à l’évaluation des moyens cognitifs que les enseignants observés, engagent dans leurs activités d’autoformation dans le cadre de leur professionnalisation. Spécifiquement, cette étude vise à apprécier si les compétences engagées dans l’autoformation sont en adéquation avec les exigences de la professionnalisation des enseignants. La méthodologie mise en œuvre est double : l’investigation documentaire et l’enquête à l’aide d’un questionnaire administré à 151 enseignants dans deux (2) établissements publics d’enseignement secondaire général au sud du Bénin. Les résultats mettent en lumière que c’est la consolidation des compétences dans les spécialités enseignées qui est l’objet principal de l’autoformation chez ces enseignants. Par ailleurs, il apparaît qu’en général, les enseignants concernés n’ont conscience que très partiellement, des compétences qu’ils doivent posséder pour réussir leur professionnalisation grâce à l’autoformation cognitive.
Mots clés : Professionnalisation, autoformation cognitive, compétences, enseignant
Abstract
This study which falls within the realm of adult education perspective is concerned with the evaluation of cognitive means engaged by the observed teachers for their self-training activities as part of their professionalization. In this regards, the study aims to assess whether the skills involved in self-training tally the teachers professionalization requirements. The methodology used is twofold: the documentary investigation and the survey using a questionnaire administered to 151 teachers in two (2) public secondary schools located in southern Benin. The results highlight skills consolidation in the taught subjects as the main object for those teachers self-training. Moreover, it generally appears that the teachers concerned are only partially aware of the skills they need to succeed in achieving their professionalization through cognitive self-training.
Key words: Professionalisation, cognitive self-training, skills, teacher
Introduction
Toute formation initiale mérite d’être périodiquement repensée en fonction de l’évolution des conditions de travail, de la demande, des technologies ou de l’état des savoirs (Perrenoud, 1993). Le métier d’enseignant ne déroge pas à cette exigence du monde du travail pour plusieurs raisons. Pour Le Pailleurs (1996, p.47) « l’évolution rapide des technologies de l’information et de la communication, la multiplication des recherches dans toutes les sphères du savoir et l’émergence de nouvelles problématiques sociales » ont engendré le vieillissement des compétences chez les enseignants. Par ailleurs, même si Maulini et al. (2015, p.15) affirment qu’« enseigner ne cesserait jamais de s’apprendre », Perrenoud (2010) alertait déjà qu’aussi complète qu’elle puisse paraître, aucune formation initiale ne peut anticiper toutes les situations qu’un enseignant rencontrera un jour ou l’autre dans son métier et le nantir de toutes les connaissances et compétences qui pourraient un jour ou l’autre devenir pertinentes. C’est pourquoi Tardif et al. (1998 ; p.32) conclurent que « la formation initiale ne fournit plus à l’enseignant si elle ne l’a jamais fait, les outils et compétences nécessaires pour faire face à ses attentes grandissantes ».
Ces différents développements interrogent le métier d’enseignant sur deux problématiques. La première replace le débat de la nécessaire question de la formation initiale et l’indispensable formation continue de l’enseignant. Quant à la deuxième, elle relance la sempiternelle question de la professionnalisation du métier au regard de l’environnement professionnel des enseignants qui, se selon D’Ortun et Pharand (2013 ; p.1), « conjugue aux réformes et à la complexification des clientèles et des tâches ». En effet, selon Djima (2014), un enseignement de qualité exige une professionnalisation du métier d’enseignant à travers la formation initiale et celle continue qui doit l’accompagner tout au long de sa carrière. Perrenoud (2010, pp. 183-184) justifie que trois arguments militent en faveur de cette professionnalisation.
Premièrement, les conditions et les contextes de l’enseignement évoluent toujours plus vite si bien qu’il est impossible de vivre sur les acquis d’une formation initiale vite obsolète. En cela, une formation continue bien pensée donnera de nouvelles recettes lorsque les anciennes ne marcheront plus. Deuxièmement, si l’on veut que tous atteignent les objectifs, il ne suffit plus d’enseigner, il faut faire apprendre à chacun, en trouvant la démarche appropriée. Cet enseignement sur mesure est au-delà de toutes les prescriptions. Enfin, le troisième argument avancé en faveur de la professionnalisation est que les compétences professionnelles sont de plus en plus collectives, à l’échelle d’une équipe ou d’un établissement, ce qui requiert de fortes compétences de communication et de concertation, donc de régulation réflexive.
Au regard de cette impérieuse et nécessaire professionnalisation du métier, il apparaît important que l’enseignant s’engage dans des formations continues formelles spécifiquement thématisées. Or, au Bénin, si au niveau de la formation initiale, des efforts remarquables s’observent à travers la multiplication des établissements post-secondaires de formation des enseignants, la mise en œuvre d’une pertinente politique de formation continue formelle piétine encore, au regard des nombreux dysfonctionnements qui s’y observent. (Djima, 2014). Dans un contexte pareil, l’autoformation cognitive ne peut-elle pas s’inviter comme pertinent dispositif de professionnalisation chez les enseignants à travers des formations continues informelles autogérées ? (Djima, 2012).
C’est ce qui justifie la présente étude qui se demande si, dans leurs activités d’autoformation, les moyens cognitifs investis par les enseignants, répondent aux exigences de professionnalisation de leurs pratiques. Autrement dit, les moyens cognitifs des enseignants autoformateurs, sont-ils en adéquation avec les exigences de professionnalisation de leur travail d’enseignant ? L’étude envisage donc d’évaluer les moyens cognitifs que les enseignants observés, engagent dans leurs activités d’autoformation, dans le but de déterminer dans quelle mesure, ces ressources cognitives rencontrent les exigences de la professionnalisation des enseignants.
Elle postule comme hypothèse qu’il y a une inadéquation entre les compétences engagées par les enseignants dans l’autoformation, et les exigences cognitives de leur professionnalisation.
- Aspects conceptuels et cadre théorique
La compréhension de ce travail nécessite la clarification de quelques concepts et expressions.
La professionnalisation selon le dictionnaire Le Robert (2014), est l’action de professionnaliser. Selon Perrenoud (1994), la professionnalisation passe par une élévation du niveau de qualification. Wittorski (2008 ; p. 16) la définit comme un processus par lequel une activité devient une profession libérale mue par un idéal de service. S’appuyant sur le modèle anglo-saxon des professions, l’auteur identifie trois critères qui définissent une profession : la spécialisation du savoir, une formation de haut niveau et un idéal de service. Dans ce travail, la professionnalisation est comprise comme le processus par lequel l’enseignant du secondaire se perfectionne dans sa spécialité ou matière enseignée, ceci, au-delà des simples compétences acquises dans le cadre de la formation professionnelle initiale en vue de l’exercice du métier.
Quant à la compétence, elle est selon Raynal et Rieunier (2014, p.140) « l’articulation routinière ou originale de ressources internes (savoirs, savoir-faire, attitudes, connaissances ou savoir inventé) ou externes (réseaux personnels, bases de données, internes) pour traiter efficacement une situation particulière appartenant à une famille de situations ».
Dans le présent travail, les compétences nécessaires à l’autoformation cognitive constituent l’ensemble des savoir-faire des enseignants-auto-formateurs pour réussir cette entreprise de conduite d’activités d’apprentissage de soi par soi dans le processus de professionnalisation du métier enseignant.
Étymologiquement, autoformation vient de « auto » et « formation », ce qui signifie, selon le dictionnaire Le Robert (2014), « la formation individuelle par téléenseignement utilisant des outils pédagogiques multimédias ». De cette définition, une première composante du phénomène se dessine. Il s’agit de l’individualisation de la formation exprimée par « formation individuelle ». Cette composante reflète le préfixe « auto » qui signifie le sujet, l’individu ou le « soi-même ». L’autoformation est considérée dans cette étude comme le système de formation permettant à un individu de se former seul, à son rythme, en utilisant des ressources pédagogiques à sa convenance dans un processus de professionnalisation du métier.
- Professionnalisation du travail de l’enseignant
Selon Perrenoud (2010, p.12), l’enseignant professionnel est celui qui « est censé réunir les compétences du concepteur et de l’exécutant : il identifie le problème, le pose, imagine et met en œuvre une solution, assure le suivi ». Il est alors celui qui fait preuve des multiples compétences qu’exige le métier d’enseignant. Cela commande de la part de l’enseignant des « savoirs étendus, savoirs savants, savoirs experts, savoirs d’expérience » (Ibid.). Le professionnalisme de l’enseignant se traduit non seulement par l’aptitude au bon agencement des savoirs rationnels, mais aussi par son aptitude à leur investissement adéquat en situation pédagogique. C’est de tout cela que dépend l’efficacité de son intervention pédagogique, et donc la qualité des apprentissages.
Il est évident que le travail de l’enseignant ne doit plus être ce qu’il était : c’est un métier nouveau dont la caractéristique est de « décider dans l’incertitude et agir dans l’urgence » (Perrenoud, 2002). Si comme nous l’avons vu, l’enseignant professionnel se reconnait par ses compétences, il est important de déterminer quelles compétences professionnelles exige la professionnalisation du métier.
A cet effet, Perrenoud (2002) présente un référentiel de dix blocs de compétences de l’enseignant professionnel : organiser et animer des situations d’apprentissage, gérer la progression des apprentissages, concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation, impliquer les élèves dans leur apprentissage et leur travail, travailler en équipe, participer en équipe, informer et impliquer les parents, se servir des technologies nouvelles, affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession et gérer sa propre formation continue.
Selon Lemosse (1989, p.57) cité par Perrenoud (1994, p.176), les anglo-saxons parlent de profession lorsque les caractéristiques suivantes sont réunies ;
- une activité intellectuelle qui engage la responsabilité individuelle de celui qui l’exercice ;
- une activité savante, et non de nature routinière, mécanique ou répétitive ;
- une activité pourtant pratique, puisqu’elle se définit comme l’exercice d’un art plutôt que purement théorique et spéculative ;
- sa technique s’apprend au terme d’une longue formation ;
- le groupe qui exerce cette activité est régi par une forte organisation et une grande cohésion internes ;
- il s’agit d’une activité de nature altruiste au terme de laquelle un service précieux est rendu à la société.
En définitive, l’enseignant professionnel est celui qui se perfectionne dans sa spécialité ou dans tout autre domaine lié aux pratiques pédagogiques, qui y intervient de façon pertinente et responsable. De plus, il va au-delà des pratiques routinières classiques de transmission du savoir. Mialaret (1991 ; pp. 414-416) estime que l’enseignant moderne assume de nouvelles fonctions qui nécessitent la professionnalisation. Il s’agit des fonctions d’animateur du groupe classe, de guide, de personne ressource, de superviseur et de psychopédagogue d’orientation scolaire.
Mais comment pouvoir manifester toutes ces compétences, lorsque la formation initiale s’est contentée de doter les futurs enseignants de compétences nécessaires à l’exercice d’un métier et non d’une profession, comme l’indique Lemosse (1989) ?
1.2. Autoformation cognitive comme dispositif de professionnalisation des enseignants
Carré (1997) synthétise les différentes et multiples conceptions de l’autoformation en une galaxie de cinq courants. Il s’agit de l’autoformation : intégrale, existentielle, cognitive, sociale et éducative.
Pour des raisons de synthèses, cette étude a conceptualisé l’autoformation cognitive.
Elle se situe, selon Carré (1997), dans un cadre psychologique et décrit les opérations intellectuelles qui caractérisent celui qui est capable d’apprendre seul. Autrement dit, c’est un champ de recherche qui s’intéresse aux processus internes au sujet lorsqu’il y a lieu d’un apprentissage autonome. Il apparaît comme la forme absolue du phénomène de l’autoformation parce qu’il fait de la responsabilité du sujet-apprenant, la mise en œuvre effective des dimensions fondamentales de l’acte d’enseignement-apprentissage que Tremblay (2003) désigne par (C.O.D.R.), entendu, Contenu de la formation, de la définition des Objectifs, de l’organisation des Démarches (méthodes et stratégies appropriées à l’adulte), et du choix des Ressources. Ce type d’autoformation, proche de l’auto-direction de l’apprentissage (l’approche nord-américaine de l’autoformation), est un processus mental intentionnel dirigé par la personne elle-même, généralement accompagné et appuyé par des comportements d’identification et de recherche d’information. Il correspond bien à la formule « d’apprendre à apprendre » qui l’inscrit dans une démarche méthodologique d’apprentissage.
Djima et Hounmènou (2017) conceptualisent lesdites compétences comme :
- capacités à identifier soi-même ses besoins en formation ;
- aptitudes à définir les objectifs poursuivis ;
- capacités de localiser les ressources documentaires nécessaires à la mise en œuvre de la formation continue informelle;
- aptitudes à évaluer le processus à la fin.
Dans un contexte de rareté des formations continues formelles des enseignants au Bénin (Djima, 2014) doublé d’un environnement scolaire de plus en plus complexe, avec des problèmes dont les solutions ne peuvent être trouvées dans les compétences acquises au cours de la formation professionnelle initiale, l’impérieuse nécessité de professionnalisation de l’enseignant justifie le recours à ce type d’autoformation.
Au total, ces compétences liées à l’autoformation cognitive s’apparentent dans une certaine mesure à celles exigées chez l’enseignant professionnel selon Perrenoud (2002). En effet, l’enseignant qui est capable d’identifier un problème dans toute situation, a l’aptitude de le poser ou le reformuler, d’imaginer et de mettre en œuvre une solution et enfin d’assurer le suivi (évaluation) a dû s’approprier auparavant ces quatre (4) compétences de l’autoformation cognitive.
- Méthodologie
La présente étude a une double dimension théorique et empirique, à travers la combinaison d’une exploration documentaire et d’une investigation empirique. La recherche documentaire a permis de mettre en place le cadre théorique de référence. La phase empirique a été réalisée au moyen de l’entrevue et de l’enquête par questionnaire, avec comme techniques de traitement des données, l’analyse statistique et l’analyse de contenu.
L’enquête a eu pour cibles privilégiées un échantillon de 151 enseignants titulaires d’un diplôme de formation professionnelle initiale et intervenant dans des établissements publics d’enseignement secondaire général des communes d’Abomey-Calavi (CEG Le Plateau) et de Cotonou (CEG Le Nokoué) au sud du Bénin. Ledit échantillon a été sélectionné selon la technique « boule de neige ». En effet, tous les enseignants des établissements scolaires n’ont pas forcément reçu une formation professionnelle initiale au métier d’enseignant.
La mise en œuvre de ce dispositif méthodologique a permis de parvenir aux résultats qui ont été commentés et analysés.
- Résultats
Les résultats issus de l’enquête sont relatifs aux représentations des enseignants sur les compétences qu’ils sont censés engager dans leur professionnalisation, à travers l’autoformation cognitive. Mais avant, il est paru nécessaire d’identifier les objets de l’autoformation chez ces enseignants.
Le premier constat de l’étude, c’est que la grande majorité (94,96%) des enseignants déclarent avoir des habitudes d’autoformation. Ce qui confirme les résultats d’une étude antérieure conduite par Djima et Hounmènou (2017) dans le sud-est du Bénin.
En ce qui concerne les objets proprement dits de ces pratiques d’autoformation, le tableau ci-dessous en présente une synthèse.
Tableau 1 : Domaines de connaissance objets des pratiques d’autoformation
Objets-cibles de l’autoformation | Effectifs | Fréquences (%) |
La discipline enseignée | 101 | 66,88 |
La Pédagogie générale | 19 | 12,58 |
La Culture Générale | 10 | 6,62 |
Les Pratiques administratives et législatives | 12 | 7,94 |
Autres | 9 | 5,96 |
Total | 151 | 100,00 |
Source : enquête
Ces résultats révèlent que la connaissance de la discipline enseignée est le premier élément (66,88 %) que les enseignants désirent maîtriser davantage et qui les préoccupe lorsqu’ils s’engagent dans l’autoformation cognitive. Il s’agit en l’occurrence de la consolidation des compétences disciplinaires. Ce résultat est confirmé par Ḗtévé et Gambart (1992), qui à travers une enquête, sont parvenus à une typologie d’enseignants lecteurs, en six catégories dont une seule intéresse cette partie du travail. Il s’agit de la catégorie d’enseignants « disciplinaires ». Pour les auteurs, ces enseignants s’identifient dans leur discours à leur matière d’enseignement. La lecture est essentiellement centrée sur la culture de la discipline, de la didactique. C’est peut-être ce qui justifie la thèse de Pelpel (2005) selon laquelle, sur le plan théorique, le professeur se définit toujours par le savoir qu’il possède. Cette affirmation de l’auteur rend bien compte de la focalisation des enseignants auto-formateurs béninois, sur la maîtrise des connaissances disciplinaires et par ricochet, la consolidation des compétences disciplinaires.
Le deuxième objet d’autoformation chez les enseignants est, selon le même tableau, la pédagogie générale (12,58 %). La culture générale apparaît en troisième position, (6,62 % des enseignants-auto-formateurs). De plus, ces résultats révèlent que les pratiques administratives et législatives préoccupent très peu les enseignants qui s’engagent dans la conduite autonome d’activités d’apprentissage. Cet état de chose apparaît paradoxal et préoccupant, quand on sait que c’est parmi les mêmes enseignants que sont nommés les responsables administratifs des établissements publics d’enseignement secondaire général. Ce qui amène à se poser des questions sur leur efficacité à ces postes de responsabilités, qui n’ont pourtant pas de similitude avec les compétences pédagogiques, d’autant plus que les chefs d’établissement ainsi nommés ne reçoivent jusque-là, aucune formation spécifiquement, en administration scolaire et législative avant leur prise de fonction.
Pour finir, 5,96% des enseignants portent leurs études personnelles sur divers autres domaines de connaissance. Ils les expriment en termes de :« droit et devoir du citoyen », « comment avoir la maîtrise de soi », « maîtrise des NTIC », « psychologie de l’enfant et de l’adolescent », « autonomie dans la prise en charge », « tout thème intéressant », « psychologie de l’éducation », « didactique de la discipline », « culture générale », « marketing », et « le sens de la vie ».
Ces réponses apparaissent significatives en matière de pratiques d’autoformation chez les enseignants enquêtés. En effet, certaines réponses confortent les préoccupations des enseignants-auto-formateurs. Ainsi, la consolidation des compétences dans la discipline enseignée se confirme bien, quand l’enseignant cherche à comprendre davantage la « didactique de la discipline » et « tout thème intéressant » à travers « la culture générale » par exemple.
Quelles sont les représentations des enquêtés sur les compétences qu’ils devraient engager dans l’autoformation cognitive ?
Les pratiques d’autoformation des enseignants nécessitent des compétences spécifiques que doivent déployer les enseignants pour atteindre leurs objectifs de formations continues informelles. Dans ce travail, un ensemble de quatre (4) compétences permet de réussir les entreprises d’autoformation telles que conceptualisées par Djima et Hounmènou (2017).
D’abord, l’enseignant-auto-formateur doit pouvoir identifier les besoins en formation. Ce sont les grandes préoccupations relatives à la pratique de son métier et qui méritent d’être solutionnées. Ensuite, il doit être capable de définir les objectifs de la formation. Ces objectifs doivent traduire les besoins préalablement identifiés. Autrement dit, les objectifs ainsi définis doivent refléter les besoins. De plus, l’enseignant sera capable de localiser et de mobiliser les ressources documentaires appropriées à l’atteinte des objectifs ainsi définis. Mais ces ressources peuvent être aussi humaines. Il s’agit, dans ce cas, des personnes-ressources dépositaires des connaissances dont l’enseignant-auto-formateur a besoin ou qui dispose de ressources documentaires essentielles capables de satisfaire ses préoccupations. Enfin, il doit pouvoir évaluer tout le processus ainsi mis en œuvre. Cette dernière étape apparaît importante parce qu’elle permet à l’enseignant en autoformation d’apprécier les résultats auxquels il est parvenu, de le capitaliser et de pouvoir mettre en œuvre le même processus dans d’autres occasions. C’est donc l’ensemble des quatre compétences qui permettent de réussir l’autoformation selon la littérature existante, (Tremblay, 2005 et Carré, 1997). C’est pourquoi la présente étude s’est intéressée aux compétences que les enseignants étudiés sont censés investir dans leurs activités d’autoformation cognitive, gage de leur professionnalisation.
Le tableau ci-dessous expose les représentations desdits acteurs les compétences en question.
Tableau 2 : Compétences nécessaires à l’autoformation selon les enquêtés
Compétences nécessaires à l’autoformation | Effectifs | Fréquences (%) |
Capacités d’identifier les besoins en formation | 39 | 25,82 |
Aptitudes à définir les objectifs poursuivis | 71 | 47,01 |
Capacités de localiser les ressources documentaires nécessaires | 23 | 15,23 |
Aptitudes à évaluer le processus à la fin | 7 | 4,63 |
Ensemble des quatre compétences à la fois | 7 | 4,63 |
Autres | 4 | 0 |
Total | 151 | 100,0 |
Source : enquête
Selon ces résultats, très peu d’enseignants, soit 4,63 % pensent que l’ensemble des quatre compétences identifiées doit intervenir dans les activités d’autoformation cognitive. Pour la moitié d’entre eux, (47,01 %), il suffit de pouvoir définir les objectifs poursuivis pour réussir son initiative d’autoformation. Ces résultats peuvent s’expliquer par le fait que les enseignants sont très habitués aux pratiques de définition des objectifs pédagogiques lors de la conception des fiches de cours et dans d’autres pratiques pédagogiques. Il en ressort que les objectifs constituent des attentes qu’ils envisagent de combler par la formation. Mais la définition exclusive des objectifs de formation suffit-elle pour réussir les pratiques d’autoformation ? De même, seulement 25,82% et 15,23% s’engagent dans cette entreprise de méta-apprentissage, respectivement, en étant convaincus qu’il leur suffit de pouvoir identifier leurs besoins en formation, ou de localiser les ressources documentaires appropriées.
Les données qualitatives issues des réponses « Autres » prévues obtenus sur cet item, apparaissent tout aussi intéressantes. Ainsi, en plus des compétences proposées dans le questionnaire, certains enseignants estiment devoir recourir à leurs « Expériences personnelles », mais aussi à la « Consultation des collègues de la même matière et des personnes ressources ».
- Discussion
En définitive, il ressort des résultats que la plupart des enseignants pratiquent l’autoformation, en y investissant que l’une seulement des compétences qui seraient nécessaires pour son efficacité.
Or, selon Carré (1997), l’autoformation cognitive réunit nombre de concepts relatifs aux mécanismes psychologiques d’apprentissage chez les adultes. Il s’agit entre autres de l’aspect métacognitif de l’auto-direction qui renvoie à « l’apprendre à apprendre ».
L’ensemble de ces éléments caractéristiques de ces compétences s’inscrit dans les pratiques métacognitives que Carré (1997) désigne par « compétences métacognitives ». Elles traduisent selon l’auteur, les capacités d’« autogestion du processus cognitif » de l’apprenant-auto-formateur. Il y regroupe une demi-douzaine de compétences plus spécifiques que sont : l’analyse des besoins, la gestion des projets, l’auto-documentation, la communication pédagogique, la stratégie d’apprentissage et l’auto-évaluation.
Cette liste de compétences, bien que spécifiques selon Carré (1997), traduit l’essentiel des dimensions nécessaires dans une démarche d’enseignement et renvoie par conséquent à la célèbre définition de l’auto-direction qui, selon Knowles (1975) cité par Carré (1997 ; p.47) :
décrit un processus dans lequel les individus prennent l’initiative, avec ou sans l’aide des autres, pour faire le diagnostic de leurs besoins et formuler leurs objectifs d’apprentissage pour identifier les ressources humaines et matérielles pour apprendre, pour choisir, mettre en œuvre les stratégies d’apprentissage appropriées et pour évaluer les résultats des apprentissages réalisés.
Cette définition dégage une similitude entre les compétences auto-formatrices et celles des enseignants professionnels selon Perrenoud (2010, p.12).
Qu’est-ce qui explique alors cette expertise d’autoformation ? Cette interrogation amène à poser une série d’autres à savoir : comment les adultes apprennent-ils dans une formation ? Comment se comportent-ils dans une situation de formation ? La réponse à chacune de ces questions pourra, sans doute, éclairer les implications andragogiques de cette pratique.
L’apprenant adulte est guidé par une volonté et une autonomie dans les projets de formations continues informelles. Les résultats du Tableau 1 montrent que les formations continues informelles des enseignants auto-formateurs (66,88%) portent essentiellement sur les connaissances de leurs spécialités respectives. Autrement dit, ces enseignants se préoccupent beaucoup plus de l’efficacité de leur prestation pédagogique lorsqu’ils s’engagent dans l’autoformation cognitive. Selon Hounmènou et Djima (2017), les enseignants auto-formateurs recourent aux stratégies de lecture d’ouvrages spécifiques lorsqu’ils désirent consolider les compétences relatives à l’enseignement de leurs disciplines respectives. Or, dans une situation de lecture active, le lecteur adulte s’inscrit dans un contexte interactif où il se questionne, et interroge intérieurement l’auteur de l’ouvrage qu’il lit, comme s’il était en face de celui-ci. En effet, pour Raynal et Rieunier (2014), lorsque l’enseignant-auto-formateur décide de lire un livre dans le contexte d’apprentissage autonome, il s’inscrit dans une série d’activités mentales. Il peut d’abord parcourir le résumé, la table des matières, survoler les premières pages à la recherche de la description éventuellement développées dans chacun des chapitres, puis procède à la lecture de tout le chapitre. Contrairement à la posture de passivité dans laquelle l’adulte enseignant était dans le cadre de sa formation professionnelle initiale, du fait de l’utilisation de la méthode magistrale par l’enseignant formateur, l’activité de lecture active, prise comme stratégie informative (Hrimech, 2002), sollicite ses potentialités cognitives. De même, l’enseignant auto-formateur choisit, le ou les ouvrages qu’il doit lire, après les avoir sélectionnés, ceci en fonction des besoins liés à ses défis et des objectifs qu’il s’est volontairement fixé. Mieux encore, lorsqu’il s’agit de recourir aux personnes ressources (expertes dans leur spécialité), auprès desquelles l’enseignant désire obtenir des informations liées à la discipline qu’il enseigne, c’est aussi sur la base de la sélection, de la volonté. À cet effet, il choisira tel collègue, et non tel autre, sans doute en fonction des motifs personnels qui le guident. Il préfèrera tel « doyen » dont il ira peut-être suivre les cours, pour observer comment celui-ci conduit sa classe ou comment il résout une situation que l’enseignant-auto-formateur juge particulièrement difficile. Ce faisant, celui-ci fait preuve de dynamisme interactionnel sur son environnement. Ce qui renvoie aux principes sociocognitifs de Vygotsky (1896-1936) et répond à la galaxie « sociale » de l’autoformation selon Carré (1997) qui constitue l’un des modèles de cette pratique dans cette recherche.
Conclusion
La présente étude visait à évaluer les moyens cognitifs que les enseignants observés, engagent dans leurs activités d’autoformation dans le cadre de leur professionnalisation.
Au regard des résultats ci-dessus analysés puis discutés, il s’observe que les pratiques de l’autoformation cognitive des enseignants portent sur la consolidation des compétences nécessaires à l’enseignement de leurs spécialités respectives. Ces pratiques pourraient s’inscrire, à première vue dans une démarche de professionnalisation de ceux-ci. Mais selon Djima (2014), c’est l’insuffisance de l’offre de formation initiale qui explique cette motivation chez les enseignants du secondaire général au Bénin.
Par ailleurs, les mêmes résultats renseignent que les enseignants du secondaire général au Bénin n’ont pas conscience de devoir investir dans leurs activités d’autoformation cognitive, à la fois, les quatre (4) compétences indispensables à une véritable professionnalisation de l’enseignant par la formation continue informelle. Or ces compétences présentent une certaine similarité avec celles exigées par Perrenoud (2010) chez un enseignant professionnel et qui doivent élever celui-ci à l’état métacognitif pour un meilleur « apprendre à apprendre ».
Cette dernière compétence est aujourd’hui au cœur des débats sur la formation initiale des enseignants professionnels et interroge la sempiternelle question des méthodes pédagogiques, l’impérieuse nécessité de redéfinir le contenu des programmes en termes de compétences professionnelles (Perrenoud, 2002) et la pertinence des modalités d’évaluation de la production des élèves-professeurs.
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